jeudi 23 août 2012

Incohérences


« Depuis toujours je me suis débattu avec l’unique intention de cesser de me débattre. Résultat : zéro. Heureux ceux qui ignorent que mûrir c’est assister à l’aggravation de ses incohérences et que c’est là le seul progrès dont il devrait être permis de se vanter. » 

Cioran, E.M. Ébauches de vertige. Éditions Gallimard, Collection Folio, 1979, p. 91

Vagues


« Les vagues se mettraient-elles à réfléchir, elles croiraient qu’elles avancent, qu’elles ont un but, qu’elles progressent, qu’elles travaillent pour le bien de la Mer, et elles ne manqueraient pas d’élaborer une philosophie aussi niaise que leur zèle. » 

Cioran, E.M. Ébauches de vertige. Éditions Gallimard, Collection Folio, 1979, p. 91

Sexualité


« Les obsessions macabres ne gênent pas la sexualité. Au contraire. On peut très bien voir les choses comme un moine bouddhiste, et faire preuve de quelque vigueur. Cette étrange compatibilité rend illusoire la prétention de s’accomplir par l’ascèse. » 

Cioran, E.M. Ébauches de vertige. Éditions Gallimard, Collection Folio, 1979, p. 83

Érosion


« La vie est plus et moins que l’ennui, que ce soit dans l’ennui et par l’ennui que l’on discerne ce qu’elle vaut. Une fois qu’il s’insinue en vous, et que vous tombez sous son invisible hégémonie, tout paraît insignifiant à côté. On pourrait en dire autant de la douleur. Assurément. Mais la douleur est localisée, tandis que l’ennui évoque un mal sans siège, sans support, sans rien sinon ce rien, inidentifiable, qui vous érode. Érosion pure, dont l’effet n’est pas perceptible, et qui vous métamorphose lentement en une ruine inaperçue des autres, et presque inaperçue de vous-même. »

 Cioran, E.M. Ébauches de vertige. Éditions Gallimard, Collection Folio, 1979, p. 83

Apparences


« Si le sceptique admet à la rigueur que la vérité existe, il laissera aux innocents l’illusion de croire la posséder un jour. Quant à moi, déclare-t-il, je m’en tiens aux apparences, je les constate et n’y adhère dans la mesure où, en tant qu’être vivant, je ne puis faire autrement. J’agis comme les autres, j’exécute les mêmes actes qu’eux mais je ne me confonds ni avec mes paroles ni avec mes gestes, je m’incline devant les coutumes et les lois, je fais semblant de partager les convictions, c’est-à-dire les marottes, de mes concitoyens, tout en sachant qu’en dernière analyse je suis aussi peu réel qu’eux.
Qu’est-ce donc que le sceptique ? – Un fantôme ... conformiste. » 

Cioran, E.M. Ébauches de vertige. Éditions Gallimard, Collection Folio, 1979, p. 81

Inexistence


« Il n’y a pas un autre monde. Il n’y a même pas ce monde-ci. Qu’y a-t-il alors? Le sourire intérieur que suscite en nous l’inexistence patente de l’un et de l’autre. » 

Cioran, E.M. Ébauches de vertige. Éditions Gallimard, Collection Folio, 1979, p. 78

« Toutes les fois qu’on tombe sur quelque chose d’existant, de réel, de plein, on aimerait faire sonner toutes les cloches comme à l’occasion des grandes victoires ou des grandes calamités. »

Cioran, E.M. Ébauches de vertige. Éditions Gallimard, Collection Folio, 1979, p. 42

Indéfinissable


« J’essaie de combattre l’intérêt que je prends pour elle, je me figure ses yeux, ses joues, son nez, ses lèvres, en pleine putréfaction. Rien n’y fait : l’indéfinissable qu’elle dégage persiste. C’est dans des moments pareils que l’on comprend pourquoi la vie à se maintenir, en dépit de la Connaissance. »

 Cioran, E.M. Ébauches de vertige. Éditions Gallimard, Collection Folio, 1979, p.39

« La plus grande des folies est de croire que nous marchons sur du solide. Dès que l’histoire se signale, nous nous persuadons du contraire. Nos pas paraissaient adhérer au sol, et nous découvrons brusquement qu’il n’y a rien qui ressemble au sol, et qu’il n’y a rien non plus qui ressemble à des pas. »

 Cioran, E.M. Ébauches de vertige. Éditions Gallimard, Collection Folio, 1979, p. 25

Danger

« Un livre doit remuer des plaies, en provoquer même. Un livre doit être un danger. »



Cioran, E.M. Ébauches de vertige. Éditions Gallimard, Collection Folio, 1979, p.11