vendredi 23 septembre 2011

Feeling

« It was like certain dinners I remember from the war. There was much wine, an ignored tension, and a feeling of things coming that you could not prevent happening. Under the wine I lost the feeling and was happy. It seemed they were all such nice people. »

Hemingway, Ernest. The Sun Also Rises. Charles Scribner’s Sons, New York, 1926. p. 146

All the way up

« Nobody ever lives their life all the way up except bull-fighters. »

Hemingway, Ernest. The Sun Also Rises. Charles Scribner’s Sons, New York, 1926. p. 10

Départs

« Les départs. C’était toujours les mêmes départs. C’était toujours les premiers départs sur les mers. La séparation d’avec la terre s’était toujours faite dans la douleur et le même désespoir, mais ça n’avait jamais empêché les hommes de partir, les juifs, les hommes de la pensée et les purs voyageurs du seul voyage sur la mer, et ça n’avait jamais empêché non plus les femmes de les laisser aller, elles qui ne partaient jamais, qui restaient garder le lieu natal, la race, les biens, la raison d’être du retour. Pendant des siècles les navires avaient fait que les voyages étaient plus lents, plus tragiques aussi qu’ils ne le sont de nos jours. La durée du voyage couvrait la longueur de la distance de façon naturelle. On était habitué à ces lentes vitesses humaines sur la terre et sur la mer, à ces retards, à ces attentes du vent, des éclaircies, des naufrages, du soleil, de la mort. Les paquebots qu’avait connus la petite blanche étaient déjà parmi les derniers courriers du monde. C’était pendant sa jeunesse en effet que les premières lignes d’avion avaient été instituées qui devraient progressivement priver l’humanité des voyages à travers les mers. »

Duras, Marguerite. L’amant. 1984. Reclam, Universal-Bibliotek. p. 125

vendredi 9 septembre 2011

Discrétion

« Quand elle a été vieille, les cheveux blancs, elle est allée aussi chez le photographe, elle y est allée seule, elle s’est fait photographier avec sa belle robe rouge sombre et ses deux bijoux, son sautoir et sa broche or et jade, un petit tronçon de jade embouti d’or. Sur la photo elle est bien coiffée, pas un pli, une image. Les indigènes aisés, allaient eux aussi au photographe, une fois par existence, quand ils voyaient que la mort approchait. Les photos étaient grandes, elles étaient toutes de même format, elles étaient encadrées dans des beaux cadres dorés et accrochées près de l’autel des ancêtres. Tous les gens photographiés, j’en ai vus beaucoup donnaient presque la même photo, leur ressemblance était hallucinante. Ce n’est pas seulement que la vieillesse se ressemble, c’est que les portraits étaient retouchés, toujours, et de telle façon que les particularités du visage, s’il en restait encore, étaient atténuées. Les visages étaient apprêtés de la même façon pour affronter l’éternité, ils étaient gommés, uniformément rajeunis. C’était ce que voulaient les gens. Cette ressemblance – cette discrétion – devait habiller le souvenir de leur passage à travers la famille, témoigner à la fois de la singularité de celui-ci et de son effectivité. Plus ils se ressemblaient et plus l’appartenance aux rangs de la famille devait être patente. De plus, tous les hommes avaient le même turban, les femmes, le même chignon, les mêmes coiffures tirées les hommes et les femmes la même robe à col droit. Ils avaient tous le même air que je connaîtrais encore entre tous. Et cet air qu’avait ma mère dans la photographie était le leur, c’était celui-là, noble, diraient certains, et certains autres, effacé. »

Duras, Marguerite. L’amant. 1984. Reclam, Universal-Bibliotek. p. 113

Idée fixe

« Elle me regarde, elle dit : peut-être que toi tu vas t’en tirer. De jour et de nuit, l’idée fixe. Ce n’est pas qu’il faut arriver à quelque chose, c’est qu’il faut sortir de là où on est. »

Duras, Marguerite. L’amant. 1984. Reclam, Universal-Bibliotek. p. 29

Immédiate

« Il n’y avait pas à attirer le désir. Il était là dans celle qui le provoquait ou il n’existait pas. Il était déjà là dès le premier regard ou bien il n’avait jamais existé. Il était l’intelligence immédiate du rapport de sexualité ou il n’était rien. Cela, de même, je l’ai su avant l’experiment. »

Duras, Marguerite. L’amant. 1984. Reclam, Universal-Bibliotek. p. 24

Croire

« Ce que je veux paraître je le parais, belle aussi si c’est ce que l’on veut que je sois, belle, ou jolie, jolie par exemple pour la famille, pour la famille, pas plus, tout ce que l’on veut de moi je peux le devenir. Et le croire. Croire que je suis charmante aussi bien. Dès que je le crois, que cela devienne vrai pour celui qui me voit et qui désire que je sois selon son goût, je le sais aussi. Ainsi, en toute conscience je peux être charmante même si je suis hantée par la mise à mort de mon frère. »

Duras, Marguerite. L’amant. 1984. Reclam, Universal-Bibliotek. p. 10-11

Aller à la vanité et au vent

« L’histoire de ma vie n’existe pas. Ça n’existe pas. Il n’y a jamais de centre. Pas de chemin, pas de ligne. Il y a des vastes endroits où l’on fait croire qu’il y avait quelqu’un, ce n’est pas vrai il n’y avait personne. L’histoire d’une toute petite partie de ma jeunesse je l’ai plus ou moins écrite déjà, enfin je veux dire, de quoi l’apercevoir, je parle de celle-ci justement, de celle de la traversée du fleuve. Ce que je fais ici est différent, et pareil. Avant, j’ai parlé des périodes claires, de celles qui étaient éclairées. Ici je parle des périodes cachées de la même jeunesse, de certains enfouissements que j’aurais opérés sur certains faits, sur certains sentiments, sur certains événements. J’ai commencé à écrire dans un milieu qui me portait très fort à la pudeur. Écrire pour eux était encore moral. Écrire, maintenant, il semblerait que ce ne soit plus rien bien souvent. Quelquefois je sais cela : que du moment que ce n’est pas, toutes choses confondues, aller à la vanité et au vent, écrire ce n’est rien. Que du moment que ce n’est pas, chaque fois, toutes choses confondues en une seule par essence inqualifiable, écrire ce n’est rien que publicité. Mais le plus souvent je n’ai pas d’avis, je vois que tous les champs sont ouverts, qu’il n’y aurait plus de murs, que l’écrit ne saurait plus où se mettre pour se cacher, se faire, se lire, que son inconvenance fondamentale ne serait plus respectée, mais je n’y pense pas plus avant. »

Duras, Marguerite. L’amant. 1984. Reclam, Universal-Bibliotek. p. 10-11