mercredi 30 mars 2011

Le pardon

« Je tiens à refuser de choisir entre l’orgie et l’ascèse, même si je dois pour cela subir le supplice du gril de mes désirs. Pour moi, il ne suffit pas de savoir que, puisque nous ne sommes pas libres de nos actes, tout est excusable. Ce que je cherche, ce n’est pas une excuse à ma vie mais exactement le contraire d’une excuse : le pardon. L’idée me vient finalement que toute consolation ne prenant pas en compte ma liberté est trompeuse, qu’elle n’est que l’image réfléchie de mon désespoir. En effet, lorsque mon désespoir me dit : Perds confiance, car chaque jour n’est qu’une trêve entre deux nuits, la fausse consolation me crie : Espère, car chaque nuit n’est qu’une trêve entre deux jours. »

Dagerman, Stig. Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Actes Sud. 1952. [http://chabrieres.pagesperso-orange.fr/texts/consolation.html]

dimanche 27 mars 2011

L'infranchissable

« La seule façon que l’humanité a trouvé de dominer le temps, c’est de le spatialiser ad nauseam. Le temps est le secret même de la subjectivité et si on doit se référer à un voyage pour le capter avec plus d’acuité, il faut invoquer le voyage intérieur. Quand on objective le temps, c’est qu’on parle du temps des autres et, par conséquent, de l’espace qui nous sépare des autres. En amour, si réduit soit cet espace, il n’en figure pas l’infranchissable frontière entre deux êtres. Le temps intérieur de l’autre ne peut être perçu, au plus fort de l’extase, que comme l’espace irréductible qui sépare deux amants, les confine à des caresses superficielles et leur interdit la vraie fusion ! Il est difficile de rendre tout ce qu’il y a de désespéré dans cette dernière phrase ; le pouvoir signifierait qu’on peut, par les artifices de l’écriture, surmonter l’inévitable spatialisation du temps qui fait qu’on vieillit en dehors de la durée de la personne aimée. On ne transcende le temps que pour sombrer dans une crevasse spatiale et, dans l’euphorie de ce franchissement, on oublie que le temps se déplace toujours plus vite que nous et qu’il se déplace dans l’espace, hors de sa structure. Ainsi, on le croit fuyant quand il nous échappe par sa constante métastase, mais c’est nous qui disparaissons. L’espace méridien d’un lit est encore plus cruel : quand on l’a franchi, on ne l’a pas franchi ! On croit pénétrer la personne aimée ; on ne fait que glisser sur la peau reluisante de ses jambes. L’amour, si délibérément intrusif soit-il, se ramène à une approximation vélaire de l’autre, à une croisière désespérante sur le toit d’une mer qu’on ne peut jamais percer. »

Aquin, Hubert. Neige noire. Éditions Pierre Tisseyre. Montréal. 1974. p. 194.

vendredi 25 mars 2011

Avoir un enfant

« Aujourd’hui, tout cela n’existe plus : je suis salarié, je suis locataire, je n’ai rien à transmettre à mon fils. Je n’ai aucun métier à lui apprendre, je ne sais même pas ce qu’il pourra faire plus tard ; les règles que j’ai connues ne seront de toute façon plus valables pour lui, il vivra dans un autre univers. Accepter l’idéologie du changement continuel c’est accepter que la vie d’un homme soit strictement réduite à son existence individuelle, et que les générations passées et futures n’aient plus aucune importance à ses yeux. »

Houellebecq, Michel. Les Particules élémentaires. Flammarion, Éditions J’ai lu. 1998. p. 169

Le Paradis d'Huxley

« Je sais bien [...] qu’on décrit en général l’univers d’Huxley comme un cauchemar totalitaire, qu’on essaie de faire passer ce livre pour une dénonciation virulente ; c’est une hypocrisie pure et simple. Sur tous les points – contrôle génétique, liberté sexuelle, lutte contre le vieillissement, civilisation des loisirs, Brave New World est pour nous un paradis, c’est en fait exactement le monde que nous essayons, sans succès, d’atteindre. »

Houellebecq, Michel. Les Particules élémentaires. Flammarion, Éditions J’ai lu. 1998. p. 156

Une Dignité supplémentaire

« Adolescent, Michel croyait que la souffrance donnait à l’homme une dignité supplémentaire. Il devait maintenant en convenir : il s’était trompé. Ce qui donnait à l’homme une dignité supplémentaire, c’était la télévision. »

Houellebecq, Michel. Les Particules élémentaires. Flammarion, Éditions J’ai lu. 1998. p. 120

Pain Killer

« Love? What is it? Most natural pain killer that there is. LOVE. »

William S.Burroughs. Last Words: The Final Journals of William S. Burroughs. Grove Press. 2000.

jeudi 17 mars 2011

Peeping Tomboy

« I don't want to change but I don't want to stay the same
I don't want to go but I'm running
I don't want to work but I don't want to sit around all day frowning

I don't want to give up but I kinda want to lie down
But not sleep just rest
Give me a break how much does it really take?
Get my head outta here »

Vile, Kurt. Peeping Tomboy, Smoke Ring For My Halo. 2011.

mardi 8 mars 2011

Phénomènes atomiques discrets

« Elle ne savait pas qu’elle était en train de vivre l’expérience concrète de la liberté ; en tout cas c’était parfaitement atroce, et elle ne devait jamais plus tout à fait être la même, après ces dix minutes. Bien des années plus tard, Michel devait proposer une brève théorie de la liberté humaine sur la base d’une analogie avec le comportement de l’hélium superfluide. Phénomènes atomiques discrets, les échanges d’électrons entre les neurones et les synapses à l’intérieur du cerveau sont en principe soumis à l’imprévisibilité quantique ; le grand nombre de neurones fait cependant, par annulation statistique des différences élémentaires, que le comportement humain est – dans ses grandes lignes comme dans ses détails – aussi rigoureusement déterminé que ce lui de tout autre système naturel. Pourtant, dans certaines circonstances, extrêmement rares – les chrétiens parlaient d’opération de la grâce – une onde de cohérence nouvelle surgit et se propage à l’intérieur du cerveau ; un comportement nouveau apparaît, de manière temporaire ou définitive, régi par un système entièrement différent d’oscillateurs harmoniques ; on observe alors ce qu’il est convenu d’appeler un acte libre. »

Houellebecq, Michel. Les Particules élémentaires. Flammarion, Éditions J’ai lu. 1998. p.92

Quelques centimètres de vide

« Il eut soudain le pressentiment que sa vie entière ressemblerait à ce moment. Il traverserait les émotions humaines, parfois il en serait proche ; d’autres connaîtraient le bonheur, ou le désespoir ; rien de tout cela ne pourrait jamais exactement le concerner ni l’atteindre. À plusieurs reprises dans la soirée, Annabelle avait lancé des regards dans sa direction tout en dansant. Il avait souhaité bouger, mais il n’avait pas pu ; il avait eu la sensation très nette de s’enfoncer dans une eau glacée. Tout, pourtant, était excessivement calme. Il se sentait séparé du monde par quelques centimètres de vide, formant autour de lui comme une carapace ou une armure. »

Houellebecq, Michel. Les Particules élémentaires. Flammarion, Éditions J’ai lu. 1998. p.86

Histoires consistantes de Griffiths

« À partir d’un sous-ensemble de mesures on peut définir une histoire, logiquement consistante, dont on ne peut pas cependant dire qu’elle soit vraie; elle peut simplement être soutenue sans contradiction. Parmi les histoires du monde possibles dans un cadre expérimental donné, certaines peuvent être réécrites sous la forme normalisée de Griffiths ; elles sont alors appelées histoires consistantes de Griffiths, et tout se passe comme si le monde était composé d’objets séparés, dotés de propriétés intrinsèques et stables. Cependant, le nombre d’histoires consistantes de Griffiths pouvant être réécrites à partir d’une série de mesures est en général sensiblement supérieur à un. Tu as une conscience de ton moi ; cette conscience de permet de poser une hypothèse : l’histoire que tu es à même de reconstituer à partir de tes propres souvenirs est une histoire consistante, justifiable dans le principe d’une narration univoque. En tant qu’individu isolé, persévérant dans l’existence un certain laps de temps, soumis à une ontologie d’objets et de propriétés, tu n’as aucun doute sur ce point : on doit nécessairement pouvoir t’associer une histoire consistante de Griffiths. Cette hypothèse a priori, tu la fais pour le domaine de la vie réelle ; tu ne la fais pas pour le domaine du rêve
   – J’aimerais penser que le moi est une illusion ; il n’empêche que c’est une illusion douloureuse... dit doucement Bruno ; mais Michel ne sut que répondre, il ne connaissait rien au bouddhisme. »

Houellebecq, Michel. Les Particules élémentaires. Flammarion, Éditions J’ai lu. 1998. p.66

Les Magazines

« S’ils se situaient en principe dans une perspective politique de contestation du capitalisme, ces périodiques s’accordaient avec l’industrie du divertissement sur l’essentiel : destruction des valeurs morales judéo-chrétiennes, apologie de la jeunesse et de la liberté individuelle. Tiraillés entre des pressions contradictoires, les magazines pour jeunes filles mirent au point dans l’urgence un accomodement, que l’on peut résumer dans la narration de vie suivante. Dans un premier temps (disons, entre douze et dix-huit ans), la jeune fille sort avec de nombreux garçons (l’ambiguité sémantique du terme sortir étant d’ailleurs le reflet d’une ambiguité comportementale réelle : que voulait dire, exactement, sortir avec un garçon ? S’agissait-il de s’embrasser sur la bouche, des joies plus profondes du petting et du deep-petting, des relations sexuelles proprement dites ? Fallait-il permettre au garçon de vous toucher les seins ? Devait-on enlever sa culotte ? Et que faire de ses organes, à lui ?) Pour Patricia Hohweiller, pour Caroline Yessayan, c’était loin d’être simple ; leurs magazines favoris donnaient des réponses floues, contradictoires. Dans un deuxième temps (en fait, peu après le bac), la même jeune fille éprouvait le besoin d’une histoire sérieuse (plus tard caractérisée par les magazines allemands sous les termes de « big love »), la question pertinente était alors : « Dois-je m’installer avec Jérémie ? » ; c’était un deuxième temps, dans le principe définitif. »

Houellebecq, Michel. Les Particules élémentaires. Flammarion, Éditions J’ai lu. 1998. p.55

mercredi 2 mars 2011

Être clair

« Des fois, on pense qu'on est clairs. Pis finalement, on l'est pas tant que ça. En tout cas, oublie ça. »

Lafleur, Stéphane. En terrains connus. 2011