dimanche 30 janvier 2011

Courir le monde

« Mon cher Whilhelm, j’ai fait toutes sortes de réflexions sur ce désir qui pousse l’homme à s’étendre, à faire de nouvelles découvertes, à courir le monde, et d’autres inversement sur l’instinct profond qui l’amène à accepter volontairement d’étroites limites, à suivre l’ornière de l’habitude, sans s’inquiéter de ce qui est à droite ou à gauche.
   Chose étrange : lorsque j’arrivai ici et que du haut de la colline je plongeai mes regards dans cette belle vallée, tout ce qui m’environnait m’attirait. – Là-bas, ce petit bois ! – Ah! que ne peux-tu mêler ton ombre aux siennes ! – Là-bas la cime de cette montagne ! – Ah ! que ne peux-tu, de là, embrasser cette vaste contrée ! – Et ces collines enchaînées l’une à l’autre, et ces vallons intimes ! – Oh ! que ne puis-je me perdre en eux ! – J’y courais et je m’en revenais sans avoir trouvé ce que j’espérais. Il en est, hélas! des lointains comme de l’avenir ! Un monde immense et nébuleux s’étend devant notre âme, notre sensibilité s’y plonge et s’y perd comme notre regard et nous aspirons à donner tout notre être pour que la volupté d’un unique, d’un grand, d’un magnifique sentiment nous emplisse entièrement. Et, hélas! lorsque nous y courons, lorsque là-bas est devenu ici, tout est après comme avant, nous restons là dans notre pauvreté, dans nos étroites limites et notre âme assoiffée se tend vers le breuvage rafraîchissant qui lui a échappé. »

Goethe. Les Souffrances du jeune Werther. Garnier-Flammarion, Paris. p.68


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