« Il reste qu’il y a beaucoup de fausseté dans des considérations
qui partent du sujet, dans la mesure même où la vie n’est plus qu’apparence.
Comme en effet, dans la phase présente de l’évolution historique, l’objectivité
massive du mouvement en cours réside en ce qui n’est encore qu’une dissolution
du sujet – sans que déjà s’en soit dégagé un sujet nouveau – l’expérience
individuelle prend nécessairement appui sur le sujet ancien, condamné par l’histoire,
qui est encore pour soi mais qui n’est plus en soi. Un tel sujet croit encore
être assuré de son autonomie, mais le néant que les camps de concentration ont
infligé aux sujets atteint maintenant la forme même de la subjectivité. Il y a
quelque chose de sentimental et d’anachronique dans la réflexion subjective,
quand bien même elle retourne sa propre critique contre elle-même :
quelque chose qui est de l’ordre d’une lamentation sur la marche du monde, et
cette lamentation n’a pas lieu d’être récusée au nom de la bonté du monde mais
parce que le sujet risque ainsi de se figer dans l’état où il se trouve (Sosein) et d’en venir à confirmer
lui-même cette loi du monde. La fidélité à son propre niveau de conscience et d’expérience
a constamment la tentation de dégénérer en infidélité, en refusant de voir ce
qui transcende l’individu et d’appeler par son nom ce qui en fait la véritable
substance. »
Adorno, Theodor W. Minimalia
Moralia. Petite bibliothèque Payot, Paris, 1951. p. 10